Comment l’externalisation du problème valorise votre coaché.e?

Goood

Cet article décrit un cas d’usage réel. En revanche par respect pour nos clients, les prénoms des protagonistes ont été volontairement modifiés.

En toute franchise, je n’aurai jamais eu l’idée d’écrire cet article si je n’avais pas reçu il y a quelques semaines le livre “Cartes des pratiques narratives” de Michael White. Je l’avais commandé suite à des recherches sur des formations proposant des outils de coaching. A la lecture du programme de formation de la Fabrique Narrative, je voulais en découvrir davantage sur ces pratiques, véritables outils de structuration des conversations dans une démarche d’accompagnement.

Je vous propose dans la suite de cet article de découvrir la “cartographie des conversations externalisantes” au travers de mon retour d’expérience lors d’un coaching.

Suite à un accompagnement agile d’équipes, la directrice du département, Odile, pense construire un programme de coaching individuel des managers des équipes. Elle promeut les bénéfices d’un tel accompagnement auprès de ses collaboratrices.

Quelques jours plus tard je suis contacté par Nathalie. Quelques mois auparavant elle avait commencé une vraie démarche d’introspection. Ce point m’en dit long sur sa motivation. Je décide de la rencontrer pour établir un cadre de coaching. Nous planifions une première rencontre quelques jours plus tard, me laissant ainsi le temps de cadrer ce même accompagnement avec Odile au préalable.

 

Etape 1: Cadrer l’accompagnement.

Lors de l’entretien avec Odile, je lui demande de me décrire, selon elle, les points à améliorer chez Nathalie. Elle me décrit sa collaboratrice comme une personne très compétente pour laquelle elle a beaucoup d’estime et de confiance. Néanmoins, une ombre au tableau apparaît : « Nathalie est hyper émotive, elle ne contrôle pas ses émotions. Elle s’irrite souvent de façon inappropriée. Et son langage corporel est un vrai désastre. Je n’ose pas l’emmener voir nos directeurs par exemple. Ces points vont la bloquer pour son évolution professionnelle dans l’entreprise et c’est dommage. On le lui a déjà dit lors de ses entretiens annuels mais rien ne s’est passé. »

Je ne sais pas vraiment sur quel pied danser. « Rien ne s’est passé » fait résonnance contradictoire avec le mail de contact de Nathalie dans lequel elle me raconte avoir commencé une démarche d’introspection. Et puis, est-ce véritablement un coaching dont Nathalie a besoin ou existe-t-il un dysfonctionnement thérapeutique ? Je me pose beaucoup de questions pour lesquelles, de toute façon, je n’ai pas les réponses.

Arrive ma première rencontre avec Nathalie, en plein hiver, dans une salle non chauffée. Ce climat renforce mon sentiment de déstabilisation. Pourtant, je rencontre une personne charmante et authentique. Les premières paroles échangées soulignent l’importance que Nathalie donne à cet accompagnement. Vient alors le moment de l’interroger sur ses intentions par rapport au coaching. Les lignes suivantes sont la transcription d’un passage de notre échange :

Loïc : J’ai le sentiment que tu es motivée pour être accompagnée. (Nous nous étions mis d’accord quelques minutes auparavant sur le tutoiement).  Peux-tu me dire le but pour lequel tu m’as contacté ?

Nathalie : En fait, je ne suis pas un bon manager. Je m’emporte beaucoup. (A ce moment, j’ai eu une réaction de stupéfaction que je n’ai pu cacher). Que se passe-t-il ?

L. : Je suis un peu surpris que tu me dises que tu n’es pas un bon manager parce que tu t’emportes. Peux-tu me préciser pourquoi ? (Il était important à ce moment de me synchroniser à nouveau avec Nathalie d’où l’utilisation de son propre vocabulaire.)

N. : Tu sais bien, tu es coach pour manager. Tu sais bien qu’un manager ne doit pas montrer ses émotions. C’est la nature même du manager ! (J’observe que son visage rougit. Et les expressions de son visage trahissent ce que je suppose être une non conviction à ses propres paroles.)

L. : Il est probable que je le sache mais je ne veux pas interpréter tes paroles. Tu as dit que la nature des managers est de ne pas montrer leurs émotions. Peux-tu me dire ce que tu entends par là ?

N. : (Nathalie marque un temps d’hésitation). Je ne sais pas. Mais ce n’est pas bien de se mettre en colère contre ses collaborateurs ou de rigoler avec. A chaque fois on me le reproche et ça m’énerve.

L. : De qui tu parles quand tu dis « on » ?

N. : De mes managers. Tous les managers que j’ai eus m’ont fait la remarque.

L. : Très bien. Peux-tu m’expliquer ce que tu ressens quand tu entends ces reproches ?

N. : Oui bien sûr. Ça m’énerve. J’ai l’impression d’être idiote et ça me dérange. Et comme c’est répétitif et que je n’y arrive pas, j’ai le sentiment d’être nulle. Et je n’aime pas ça. De toute façon j’ai envie de changer mais je ne suis pas sûre de pouvoir y arriver.

Notre conversation se prolonge encore pendant quelques minutes durant lesquelles je m’aperçois non seulement que le vocabulaire utilisé par Nathalie ressemble quasiment mot pour mot à celui utilisé par Odile, mais aussi que cette représentation mentale du manager paraît être davantage une uniformisation sociale de l’organisation.

A la fin de la séance, nous décidons ensemble de nous rencontrer une fois toutes les deux semaines sans se fixer pour autant réellement d’objectifs de coaching.

 

Etape 2: Se détacher de l’uniformisation sociale.

Lors de notre deuxième rencontre, il me paraît nécessaire de préparer le terrain à des conversations riches à venir en détachant Nathalie de l’uniformisation sociale. Tout du moins, que ses paroles reflètent réellement ses pensées, ses idées, ses images.

Quelques mois auparavant, j’ai découvert les « cartes de forces » développées par le docteur Ilona Boniwell. Le cheminement, construit sur les mécanismes de la psychologie positive, pose comme postulat de départ qu’aucune personne n’a de points faibles. Chacune a une multitude de points forts plus ou moins développés. Il s’agit ensuite d’identifier les points forts qui nous sont le plus utiles pour répondre à une situation donnée.

J’explique à Nathalie la structure que j’ai conçue pour notre entretien. Elle choisirait 3 cartes qui représentent pour elle, ses points forts actuels comme manager. Puis elle continuerait avec 3 autres cartes, les forces qu’elle aimerait développer à présent pour s’améliorer en tant que manager. Nathalie accepte ma proposition avec enthousiasme.

Nathalie commence par choisir les 3 cartes représentatives de ses points forts actuels : explication, sens du détail et planification. Rien d’étonnant sur le choix de ces 3 cartes. Par contre, son choix des 3 cartes des forces à améliorer me surprend bien davantage. Malgré les informations données lors de notre séance de cadrage, dont l’objectif du coaching était « aider à ne pas montrer ses sentiments », les cartes choisies sont maîtrise de soi, résilience et intelligence sociale. Après quelques échanges pour approfondir les raisons de ses choix, Nathalie modifie l’objectif du coaching. Le nouvel objectif est posé comme « mieux gérer sa colère », me permettant par la suite de l’accompagnement de recentrer et  focaliser nos conversations externalisantes.

 

Etape 3: Externaliser le problème pour ne pas s’auto-détruire.

Dans tout coaching, l’individu n’est pas le problème (ou ne devrait pas l’être). Les conversations externalisantes « mettent à la porte » le problème. Au travers de questions structurées, le coach et le coaché, construisant par là-même une véritable relation de confiance, donnent une identité propre au problème. Ils identifient ensemble le mode de fonctionnement et les ambitions de ce nouveau personnage dans l’histoire de vie du coaché.

Ces conversations ouvrent des voies de réflexions et des pistes d’exploration pour diminuer les ambitions et les impacts du problème, contrairement aux approches plus « traditionnelles » dans lesquelles les personnes peuvent s’identifier au problème. Si la personne s’identifie au problème, trouver des solutions pour résoudre celui-ci revient à se détruire soi-même.

En préparant une nouvelle séance d’accompagnement de Nathalie, je relis et me remémore certains passages marquants de nos conversations précédentes: j’ai été souvent confronté à « ça m’énerve » et j’avais déjà pu constater quelques-uns de ses stratagèmes pour isoler Nathalie. Je décide d’explorer cette piste et d’aider Nathalie à reconnaître « ça m’énerve ». Lors de notre rencontre suivante, je lui explique la démarche de personnalisation et d’externalisation du problème. Elle acquiesce mais les expressions de son visage ne mentent pas sur le fait qu’elle me prend pour un fou. Après quelques échanges, nous décidons de nommer le problème « Colère ».

L. : Bien, maintenant peux-tu me dire ce que ça te fait de vivre sous le règne de Colère ?

N. : Je ne sais pas trop. Elle prend quelques secondes pour réfléchir. En fait, je n’aime pas ça.

L. : Peux-tu approfondir ce que tu n’aimes pas chez Colère ? Qu’est-ce qui te dérange ?

N. : Elle… me paralyse. Elle me provoque un sentiment de mal-être. C’est comme si… elle voulait me décrédibiliser.

L. : Peux-tu me raconter ce que tu as remarqué qui te fait dire que Colère veut te décrédibiliser ?

N. : Elle apparaît toujours quand je suis en groupe au travail. Soit avec mes managers, soit avec des collaborateurs. Toujours quand je suis au centre de l’attention.

L. : Tu me dis que Colère apparaît dans un contexte professionnel. Elle n’apparaît jamais quand tu es en famille ?

N. : Non. En tout cas elle n’est pas la même. Elle lui ressemble mais ce n’est pas la même chose.

L. : Tu veux dire que quand tu es en famille, ce n’est pas Colère mais quelqu’un qui lui ressemble ? Comme sa sœur ? (Nathalie me fit signe que oui de la tête. Je m’aperçus que son visage était devenu tout rouge, et qu’elle prenait une position de recul). Penses-tu que Colère nous écoute en ce moment ?

N. : Oui, je crois bien que oui.

L. : Tu m’as dit qu’elle n’apparaissait que quand tu étais en groupe. Pourquoi est-elle ici, avec nous deux ?

N. : Je crois bien que… oui c’est ça. Je crois qu’elle n’aime pas que tu veuilles me libérer d’elle. C’est la première fois que le mot « libérer » ressortait de nos conversations.

L. : Pourquoi Colère pense-t-elle que je veux te libérer d’elle ?

N. : (Après 5 minutes de silence). En fait, je crois que tu n’as rien fait. Je crois qu’elle sent que c’est moi qui veux me libérer d’elle.

L. : Dirais-tu que « te libérer de Colère » est ton envie aujourd’hui ?

N. : Oui c’est exactement ce que je veux. (Des larmes ont commencé à couler). Merci. Ça fait du bien.

Dans la suite de l’échange, nous approfondissons comment et pourquoi Colère prend le pouvoir, comment Nathalie souhaite les relations avec son environnement professionnel mais que Colère perturbe.

La figure suivante présente la cartographie des conversations externalisantes de cette séance.

cartographie conversations externalisantes - nadège 4ème séance
Fig.1 : Cartographie des conversations externalisantes, Nathalie, 4ème séance.

Conclusion de la séance

A la fin de notre séance, j’ai le sentiment qu’il faut capitaliser sur ce qui me semble une prise de conscience et un début de distanciation. Même si je ne l’avais pas prévu à ce moment de l’accompagnement, je demande à Nathalie pour la séance suivante de réfléchir à des situations professionnelles plaisantes pour elle. Elles nous serviront d’échafaudages pour nos séances de conversations pour redevenir auteur (Michael White, Cartes des Pratiques Narratives.)

Je vous propose de découvrir ces nouvelles cartes dans l’article que je publierai la semaine prochaine.

 

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“Nathalie” ou “Nadège” ? 😉

Nathalie, définitivement. Merci pour la notification 🙂

[…] mon précédent article, je vous parlais de l’accompagnement d’un manager, Nathalie avec laquelle nous avions […]