Mon boulanger est en flux tiré

Gregory

Ma boulangerie s’appelle Le Pavé Sucré. Elle est toute petite, normal j’habite Paris.

Elle vend du pain et quelques pâtisseries, un peu de choix, ça me rassure. Et pas beaucoup de quantité.

Présentoir de pain

Il y a certes un bon panier de baguettes, un certain nombre de traditions, mais ce qui attire ma curiosité c’est qu’il y a toujours un maximum de 3 pains de la catégorie « pains de mie » déclinée en pain complet, pain aux céréales, pain de campagne…

Un deuxième point a attiré mon attention gustative : le pain est toujours chaud (quand je l’achète hein, non parce qu’au bout de trois jours quand même… faut pas déconner… ce serait bizarre).

Qu’il neige, qu’il vente, qu’on soit lundi ou samedi (argh, il est fermé le dimanche),  le pain est chaud, le pain est bon ( « Notre pain est blanc, notre pain est bon. Si vous le voulez, c’est de bon coeur que nous partagerons » mais c’est un autre sujet).

Mais comment font-ils ?

Je rentre dans la boulangerie. J’ai bien envie de m’acheter un bon petit pain aux céréales, raz le bol du Harris !
“Un pain aux céréales siou plait” demandai-je à la boulangère. “Bien-sur” (en plus ils sont sympas… comme quoi à Paris) “Ce sera tout ?” me répond-elle et crie en direction de l’atelier “UN PAIN AUX CEREALES PAR ICI MERCI !” – “C’EST PARTI !” entends-je depuis l’arrière boutique.
“Ce sera tout ?” me demande la boulangère – “Oui merci” – “50€ s’il vous plait” (je plaisante bien-sûr, à Paris le pain est à 37€).
Mon pain est chaud, mon pain est moelleux, mon pain est chaud et je pourrai en manger toute la semaine.

Le patron de la boulangerie
Le patron de ma boulangerie

A chaque fois qu’un client achète du pain, une commande est passée à la production en suivant ce processus

1 – Le client passe commande d’1 pain aux céréales
2 – Le pain qui était en rayon est livré au client.
3 – Il a été décidé qu’il y ai toujours 3 pains en rayon, on regarde si un pain est prêt à être mis en rayon
4 – Si ce n’est pas le cas, on passe commande à l’atelier
5 – Une fois la commande passée, le pain est confectionné
6 – Finalement le pain est livré au magasin avant d’atteindre à nouveau le rayon.

Si, entre temps, une nouvelle commande a été passée, on réitère l’opération en faisant entrer un nouveau pain aux céréales dans ce processus.

Déformation professionnelle oblige, je me suis dis…

Mon boulanger est en flux tiré

Le flux tiré consiste à dire que le déclenchement d’une étape ne peut se faire que si l’étape d’après a été déclenchée. Ici, on ne met un pain en rayon que si un pain du rayon a été livré à un client. Cette notion fait écho au “juste-à-temps” (concept prégnant dans le Toyotisme, philosophie à la base du Kanban).

Méthode de production à flux tendus, employée dans des productions de masse relativement stables, et consistant à acheter ou à produire la quantité juste nécessaire au moment où on en a besoin.

Définition du “Juste-à-temps” Larousse

J’ai tenté de représenter ce flux de façon visuelle :

Flux de traitement des commandes de mon boulanger
Flux de traitement des commandes de mon boulanger

Tiens donc, ça me fait penser à quelque chose… du Kanban peut-être ?

On remarque que la construction de ce tableau de suivi est très collé au métier de boulanger (et probablement de ce boulanger en particulier) alors que généralement, en développement, le tableau est constitué de base de 3 colonnes : A faire, En cours, Terminé sans nécessairement coller au processus réel de production.

Je vous conseil vivement la présentation de Matti Schneider à l’Agile France 2014 sur L’approche centrée artefacts et sur notre capacité à adapter nos artefacts à notre façon de fonctionner.

 

Mais pourquoi 3 pains en rayon ?

Pour le savoir, j’ai décidé d’aller poser directement la question à mon boulanger.

Je m’attendais à avoir une réponse simple du type : on a fait une moyenne en fonction de la demande.

En réalité, c’est un peu plus complexe que ça et plusieurs paramètres rentrent en compte

  • L’espace disponible
  • La demande générale
  • L’heure
  • Le produit

Nous sommes dans une petite boulangerie de quartier, les rayonnages ne sont pas ceux d’une grosse industrie et l’espace n’est pas illimité.

Pourquoi 3 alors ? Parce qu’il n’y a pas plus de 3 places tout simplement, il ne peut pas y avoir plus de 3 éléments dans la colonne “en rayon” de notre tableau ci dessus.

Etant donné que notre limite est de 3 pains dans le rayon, on pourra impacter cette contrainte aux phases précédentes évitant ainsi de confectionner plus de pain qu’un rayon ne peut en contenir.

On ajoute des limites sur les colonnes précédentes
On ajoute des limites sur les colonnes précédentes

En Kanban, on parle de limite de la file d’attente. “Les limites de file d’attente sont conçues pour éviter le travail prématuré. C’est de cette façon que le juste-à-temps est atteint.” décrit Karl Scotland dans son article Kanban Flow and Cadence parfaitement traduit ici par Fabrice Aimetti.

En boulangerie le travail prématuré a un effet direct sur le produit puisqu’un pain confectionné trop tôt par rapport à sa livraison perdra de sa fraîcheur.

[box]Ce qu’il est aussi intéressant de remarquer, c’est que la contrainte d’espace est une opportunité avec un roulement aussi rapide, le pain est toujours chaud pour la clientèle. Dans quelle mesure nos contraintes projet sont en réalité des opportunités ?

Si on prend l’exemple du téléphone mobile, dans quel mesure la contrainte de développement pour support mobile n’est pas devenu une opportunité de faire des sites plus légers, plus rapides voir même de révolutionner le monde de l’ergonomie web ?[/box]

Les étals doivent toujours être pleins pour une raison que je n’avais pas envisagée : « les gens n’aiment pas voir des boulangeries à moitié vides ». Ça ne donne pas envie, il faut montrer aux gens qui passent devant la boulangerie qu’il y a du choix et de la quantité, qu’ils sont sûrs de trouver ce qui leur faut.

On peut de la même manière, qu’il nous est imposé une limite maximum à notre rayon, mettre une limite minimum pour s’assurer au plus vite un retour à 3 pains dans notre rayon.
Dans un projet industriel ou IT, mettre en place une limite minimum sur une phase peut servir à s’assurer qu’un acteur du processus ne reste pas les mains vides et qu’un ticket doit être présent à son niveau.

On ajoute une limite minimum sur la colonne "en rayon"
On ajoute une limite minimum sur la colonne “en rayon”

Il n’y a pas toujours 3 pains sur l’étal, et ce, volontairement. La quantité présentée et produite diminue au fil de la journée.

Les photos qui ornent ce billet ont été prise vers 18h45 soit un quart d’heure avant la fermeture, on remarque bien que les étales ne sont pas pleines. Cependant, elle sont quand même renflouées en fonction des demandes. Pour éviter les pertes, mon boulanger évite de refaire du pain qui risquerait de ne pas être vendu et pire pour certains produits, perdu.

Rayon de pain
Miam

On a donc des variations de limites en fonction du temps. Dans votre projet, il est possible qu’un de vos 3 testeurs ne soit là qu’une semaine sur deux, en ce cas vous n’aurez pas à occuper 3 personnes mais 2 à ce niveau du flux.

Tous les produits n’ont pas le même traitement des quantités. Mon boulanger m’a donné l’exemple de la tartelette aux fraises. Il n’y en a qu’une seule d’exposé car la tartelette bien que réfrigérée dans le présentoir, ne dure pas plus de 24h. En présenter plus, c’est risque d’en jeter plus.

A l’inverse, les baguettes et traditions sont présentes en plus grosses quantités dans de gros sacs et pourtant elles sont aussi toujours chaudes, la limite maximum cas la contrainte d’espace n’est pas la même et que “ la fréquence d’achat est plus importante ”

Cet échange m’a fait prendre conscience que toutes les boulangeries sont en flux tiré, juste que la taille de cette dernière rend plus visible le processus qui, finalement, est celui de toutes les boulangeries.

Ici le stock plus faible fait que le cycle demande, production, livraison est accéléré et on a plus de chance de la vivre en allant chercher son pain.

Cependant si toutes les boulangeries ont le même flux, toutes n’ont pas les mêmes limites, le fait d’avoir une limite faible diminuera toujours le risque de gâchis. Tout pareil pour votre projet.

Merci à la boulangerie : Le Pavé Sucré au 142, rue du Fbg Poissonnière, 75010

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Bonjour,
toutes les boulangeries ne fonctionnent pas en flux tirées; une autre contrainte est l’utilisation du four. Laisser un four allumer toute la journée n’est pas du meme coût que l’utiliser pour 2 fournées jour. Il ne manque pas une contrainte matérielle pour le four?

Je suis intéressé par le mode de fonctionnement des autres boulangeries si tu en as d’autres.

Pour le four en soi, je présume que ça dépend aussi de sa taille, toutes les boulangeries sont-elles capables de faire 1/2 journée de produits en 1 fois ? Je présume que la phase de cuisson peut être ajoutée après la phase “confection”, les différents pains nécessitent différentes cuissons il faut donc ajuster. Après ce n’est qu’une hypothèse. Si un boulanger lit ce billet et ces commentaires, je suis preneur du point de vue