Les peurs du manager

Sylvie

Cet article est inspiré d’un autre : https://thediverter.online/misconceptions/ où l’auteur parle d’apprentissage et de désapprentissage. Cela m’interpelle parce que ces questions, apprentissage, entreprise apprenante, intelligence collective… sont au cœur du management. Or souvent, c’est une partie « obscure » du rôle de manager, rendue invisible en comparaison avec le fort projecteur braqué sur la partie opérationnelle du rôle.

Donc, certaines choses que l’on apprend se cristallisent en nous sous la forme de modèles mentaux. Les modèles mentaux sont des représentations du monde. Nous les construisons dès notre naissance et ils s’enrichissent, en principe, tout le long de nos vies en fonction de nos rencontres et de nos expériences. Ils structurent notre façon de penser et d’être au monde. Ils nous façonnent, donc, en même temps que nous les façonnons.

Comme les modèles mentaux sont nos bases et nos références dans la vie, certains d’entre eux deviennent très importants pour nous. Nous y tenons et nous y accrochons, parfois au point de les considérer comme des valeurs absolues. C’est vrai dans nos vie personnelles et c’est aussi le cas dans notre façon de vivre dans l’entreprise et de manager. Nos croyances, certitudes, convictions, même nos habitudes, sont finalement des modèles mentaux.

Par ailleurs, dans l’état actuel de la recherche, les neurosciences nous indiquent que nos pensées les plus profondes, les plus primaires, sont pilotées par la peur. En effet, nous sommes les descendants des humains les plus peureux, ceux qui ont survécu à tous les dangers de leur époque. Donc, sans le savoir, la peur nous guide encore aujourd’hui, alors que les situations où nous sommes en danger de mort sont assez rares.

Et c’est ainsi, que dans un mécanisme multicouche savamment construit, nous pouvons nous attacher, parfois farouchement, à des modèles mentaux mêmes s’ils sont erronés, car périmés et non adaptés à notre situation actuelle. Cet attachement n’est pas rationnel, mais au plus profond de nous ces modèles mentaux nous rassurent car ils nous ont “bien permis de vivre jusque là”.

Donc, lorsque nous sommes face à une situation nouvelle dans laquelle un de ces modèles mentaux ne fonctionne pas, il nous est très difficile de nous en débarrasser car nous avons la sensation, au plus profond de nous-même, de nous mettre en danger. Cette sensation d’angoisse à la perspective de nous débarrasser d’un modèle mental auquel nous croyons, est ataviste, car elle est liée à la peur d’être en danger de mort et nous nous accrochons donc au modèle mental qui semble nous en protéger. La version « light » de ce mécanisme nous fait dire, « ce n’est pas ma faute, c’est xxx ».

Mais cela va bien plus loin : nous sommes tellement attachés à nos modèles mentaux, avec la croyance profonde, souvent inconsciente, qu’ils nous protègent de la mort, que nous risquons parfois réellement nos vies, juste pour protéger nos modèles mentaux. L’histoire regorge d’exemples de cas où des gens sont prêts à mourir pour des modèles mentaux (appelés alors idéologies, valeurs, principes…), ces idéologies étant souvent des “moyens de préserver l’espèce” à laquelle ces personnes se sentent appartenir.

On voit bien le mécanisme qui se met en oeuvre : j’appartiens à tel groupe > ma vie en dépend > si le groupe est menacé, je suis en danger de mort > protéger le groupe, c’est aussi prévenir toute menace sur le groupe > et même toute menace potentielle > et tout ce que les leaders du groupe présentent comme une menace > je dois protéger le groupe coûte que coûte, y compris au péril de ma vie…

Cela pourrait probablement schématiser un processus mental qui mène au fanatisme religieux, nationaliste, ou sectaire…

Un exemple issu du conflit israélo-palestinien : chaque camp considère l’autre comme une menace mortelle. Les modèles mentaux en oeuvre ici sont “il ne peut pas y avoir de paix avec … parce qu’il va me tuer dès que j’aurai le dos tourné”. Et ainsi, la guerre continue. Pourtant, à un moment donné, Rabin et Arafat ont réussi, simultanément, à changer de modèle mental en passant à “On ne fait pas la paix avec ses amis, mais bien avec ses ennemis” combiné à “La paix vaut mieux que la guerre”. Et ils ont eu le courage de signer un accord de paix. L’un a été assassiné – par son propre “camp” – et l’autre a perdu l’interlocuteur en qui il avait confiance et le courage de recommencer le processus avec un autre. La guerre entre les israéliens et les palestiniens continue…

Le Coronavirus nous donne un autre exemple intéressant que l’on a vu ces derniers temps :

Certaines personnes religieuses ont un modèle mental qui leur fait croire que Dieu est à l’origine de la pandémie et qu’il va les préserver car ils sont de bons croyants. Ils vont donc aller sans crainte à leur église, mosquée, temple, synagogue ou autre lieu où se rassemblent ceux qui sont immunisés par leur croyance.

Ainsi, leur sentiment de sécurité basé sur leur modèle mental les mène à un vrai danger mortel au lieu de les en protéger.

C’est le même mécanisme qui fait dire à d’autres que le Covid n’existe pas ou que les vaccins ou les masques ne servent à rien. Pour se préserver contre une méga entité mal intentionnée qui voudrait les asservir, ils prennent des risques qui peuvent causer leur mort, ou celle de leur entourage. La peur est décidément mauvaise conseillère dès lors que le danger n’est pas immédiat !

Tout n’est pas directement une question de vie ou de mort. Par exemple : les bourses ont toutes chuté avec la pandémie. Pourtant, la bourse monte toujours, après chaque crise, encore plus haut qu’elle l’était avant. Quels modèles mentaux amènent à cette panique qui fait chuter les bourses ? Ce sont des modèles mentaux de peur, peur de perdre de l’argent. Alors même que l’on sait que ça va remonter, on cède à cette peur et l’on vend ses actions, ce qui accélère la chute des cours. Et qu’y a-t-il derrière la peur de perdre de l’argent ? Probablement, toujours et encore, la peur inconsciente de la mort : si je perd de l’argent, je vais manquer > si je manque d’argent, je ne pourrais plus manger à ma faim > alors je vais mourir.

Rappelez-vous, en 1929, ils se jetaient par la fenêtre après avoir perdu leur argent, façon radicale de matérialiser le rapport entre l’argent et la peur de mourir.

Il est facile de voir les problèmes des modèles mentaux des autres, mais pensez à vos comportements aberrants à vous, qui vous mènent à faire finalement le contraire de ce que vous feriez si vous étiez plus conscient-e.

Par exemple : je donne des ordre à mes collaborateurs > je les surveille pour voir s’ils font bien leur travail > si ce n’est pas le cas, j’en serai tenu pour responsable > je n’aurais pas été à la hauteur > je perdrai la confiance de mon boss > je vais me faire virer > Je serais sans ressources > je vais mourir.

Chaque étape évidemment est discutable :

  • Un manager doit-il donner des ordres ou être un leader inspirant ? Favoriser la prise d’autonomie et de responsabilité des collaborateurs ?
  • Un manager doit-il surveiller ses collaborateur ou s’assurer que le travail soit fait et bien fait ?
  • Est-ce que l’on travaille mieux lorsqu’on est observé et surveillé ou lorsqu’on est libre de s’organiser comme on l’entend pour réaliser ses tâches ?
  • Si le travail n’est pas fait correctement, le manager sera-t-il forcément et immédiatement rendu responsable ?
  • N’y a-t-il pas de nombreux moyens d’améliorer la qualité du travail des collaborateur sans penser que le manager n’est pas à la hauteur ?
  • Un problème de travail ponctuel dans une équipe est-il ce qui va faire perdre la confiance de son boss ?
  • Est-ce qu’un manager se fait virer dès qu’il y a un problème dans son équipe ?
  • N’y a-t-il pas d’autres moyens de gagner sa vie que celui que l’on utilise à un moment donné ?

L’exemple est caricatural, et pourtant il est très fréquent dans les entreprises. La peur de l’échec du manager l’amène à gérer de façon inappropriée, avec des modèles mentaux très courants comme justificatifs : une équipe a besoin d’un chef, je dois tout savoir pour être crédible, je dois être infaillible pour justifier mon poste, les gens sont paresseux et de mauvaise foi, sans surveillance ils ne feront rien, etc.

Que faire alors pour améliorer son management et se libérer des cette peur atavique ? Pour adopter des nouveaux modèles mentaux, moins pilotés par nos peurs, je pense qu’on pourrait procéder en 3 étapes :

  1. Garder le modèle mental existant, celui qui nous rassure, même inconsciemment car il nous amené sain et sauf jusqu’ici. En même temps, donner une place au nouveau modèle mental, celui qui pourrait s’avérer opérant par rapport à une nouvelle situation rencontrée. Il s’agit là juste de développer une ouverture d’esprit, accepter le fait qu’il pourrait peut-être en être autrement que ce que l’on pense être VRAI.
  2. Explorer le nouveau modèle mental, porteur d’une autre vision des choses. Tester, apprivoiser des nouvelles façon da faire, tout doucement, pas à pas. S’assurer que ces nouveaux modèles mentaux ne nous tuent pas. Naviguer doucement entre les modèles mentaux anciens et récents, le temps de nous assurer que les nouveaux ne nous mettent pas en danger.
  3. Lorsque nous aurons construit la confiance dans ces nouveaux modèles, il nous sera plus facile de nous séparer des anciens modèles, ou de les faire évoluer, tout sentiment de danger étant écarté. Ils peuvent aussi rester car ils sont peut-être utiles pour d’autres situations.

Attention, il ne s’agit pas de passer du « tout émotionnel » (induit par la confiscation de nos perceptions par la peur) au « tout rationnel » mais bien de trouver le bon équilibre entre les deux : faire ce qui semble « bien » d’un point de vue rationnel et qui nous convient également émotionnellement. Pour aller plus loin dans la combinaison émotionnel/rationnel, vous pouvez lire cet article : https://www.linkedin.com/pulse/de-la-rapidit%C3%A9-prise-d%C3%A9cision-sylvie-rabie/

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