Dans une entreprise qui fonctionne bien, les dirigeants dirigent, les managers managent, les équipes font leur travail et l’entreprise prospère.
Lorsque les dirigeants font bien leur travail, les managers sont en capacité de bien faire le leur et permettre à leurs équipes de performer. Or, nous rencontrons souvent en mission des équipes qui dysfonctionnent et des managers plus ou moins désemparés.
Selon Bain & Company, un des gros facteurs d’échec des entreprises est la mauvaise prise de décisions.
Même avec les meilleures intentions, beaucoup de dirigeants prennent des mauvaises décisions, avec des impacts qui peuvent aller jusqu’à la faillite de leur entreprise voire pire encore, causer des morts.
Cet article va donner quelques exemples où les dirigeants ont pris des mauvaises décisions et proposer quelques pratiques qui pourraient leur permettre de s’abstenir de le faire.
Quelques exemples :
Explosion de la navette Columbia
Le 1er février 2003, durant la phase de rentrée atmosphérique, la navette spatiale américaine Columbia est détruite au-dessus du Texas et de la Louisiane et les sept membres de l’équipage sont tués.
L’analyse des causes révèle un défaut technique, un morceau de la mousse d’isolation thermique, qui s’est détachée du réservoir externe. Le problème avait été détecté lors du vol orbital le 17 janvier, sans être corrigé avant le retour de la navette. Ce défaut avait également été détecté sur de très nombreux vols précédents entre 1981 et 2003.
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Accident_de_la_navette_spatiale_Columbia)
Jérôme Kerviel et la Société Générale
En juin 2007, un trader de la Société Générale, Jérôme Kerviel, aurait affiché une valorisation négative de 2,2 milliards d’euros sur une position de 30 milliards d’euros qu’il avait accumulée et il aurait pris ensuite des positions plutôt heureuses pour réaliser au 31 décembre 2007 un gain cumulé sur l’année 2007 d’1,4 milliard d’euros en réussissant à masquer l’importance et le risque des positions qu’il avait prises grâce à sa connaissance des procédures de contrôle interne.
Kerviel avait été récompensé à plusieurs reprises dans le passé pour ses performances remarquables.
En janvier 2008, c’est la crise des subprimes et la crise financière qui s’ensuit. La Société Générale panique lorsqu’elle découvre les positions de Jérôme Kerviel. La banque liquide ces positions en urgence, au pire moment, occasionnant ainsi 4,9 milliards d’euros de pertes.
L’enquête révèle que les agissements frauduleux de Jérôme Kerviel ont été facilités par une longue série de mauvaises décisions prises à différents niveaux dans la banque.
Les débuts de Netflix
Reed Hastings, le co-fondateur et PDG de Netflix, a pris en 2011 la décision de séparer son entreprise en deux, l’une, Qwikster, dédiée à la location de DVD par voie postale, l’autre, Netflix, dédiée au streaming.
Cette décision a suscité des réactions négatives de la part des abonnés, qui n’ont pas apprécié la complexité supplémentaire et les frais supplémentaires associés à deux abonnements distincts. L’entreprise a perdu alors 20% de ses abonnés et le cours de ses actions a été divisé par 3. En octobre 2011, Reed Hastings a abandonné le projet Qwikster et la location de DVD a été réintégrée au service principal de streaming au sein de Netflix.
Depuis lors, Netflix s’est concentré exclusivement sur le streaming et est devenu l’un des leaders mondiaux du secteur.
Un mauvais casting et deux entreprises coulent
Plus modestement, dans une startup de ma connaissance, un chef de projet à été embauché pour gérer la production d’un gros projet stratégique, autour duquel s’est créée une nouvelle société avec des capitaux extérieurs. La nouvelle société s’est installée dans une pépinière, avec une équipe dédiée et le nouveau chef de projet. Celui-ci, tout en gérant le projet en cours, a fomenté une manipulation pour récupérer la nouvelle société à son compte, en accusant les fondateurs de fraude.
Les fondateurs, occupés par leur startup initiale n’ont rien vu venir, à part une mauvaise ambiance, difficile à qualifier. Ainsi, ils n’ont pris aucune action susceptible de clarifier les choses. Lorsque la machination a été révélée, il était trop tard pour licencier le chef de projet indélicat et la nouvelle société a déposé le bilan, suivie de peu par la startup initiale.
Perdre tout pour gagner plus
Chez un de mes clients, le chef de projet devait choisir une solution technique pour développer une nouvelle application qui devait remplacer l’application existante. Il faut faire vite, pas le temps de prolonger la phase d’exploration afin de définir finement les besoins. L’entreprise est choisie, non pas par le chef de projet, mais par le directeur de la DSI, sur la base de critères globaux, sans s’attarder sur les besoins spécifiques de la nouvelle application. Résultat un an et un million d’euros plus tard : l’application ne remplit pas les fonctions attendues, elle est rejetée par les utilisateurs et en plus la nouvelle application est difficile et coûteuse à maintenir. La question se pose de tout jeter et recommencer à zéro avec une nouvelle équipe et une nouvelle solution technique.
Comment naissent les mauvaises décisions ?
- Le dirigeant prend seul les décisions les plus critiques pour son entreprise, sans en mesurer correctement les impacts négatifs potentiels.
- Le dirigeant s’entoure de personnes qui lui ressemblent. Il recrute des personnes issues du même milieu, qui ont fréquenté les mêmes écoles… En créant autour de lui un environnement à son image, le dirigeant se rassure.
- La vie du dirigeant est plus facile, il y a moins de conflits, une bonne ambiance entre pairs, parfois des vraies complicités : aucune raison visible de changer de modèle.
- Cela est renforcé par le biais de confirmation, qui fait que l’on cherche des informations qui confirment ce que l’on sait déjà plutôt que d’aller chercher la contradiction.
- Ainsi protégé par sa muraille de “mêmes” le dirigeant ne voit pas le problème. C’est donc “la faute aux autres” si “ça ne va pas”.
- Le dirigeant refuse d’écouter les cassandres qui pourraient l’alerter en amont et n’écoute pas non plus les alertes remontées par les managers une fois la décision prise.
- Les managers sont mis en défaut sans avoir aucun pouvoir de correction puisque la décision source du problème leur est imposée.
- Le dirigeant ne prend aucune décision, espérant que les choses s’arrangent d’elles-mêmes.
Dans les histoires évoquées plus tôt
- Les décideurs de la NASA ont ignoré les alertes, provenant des ingénieurs et techniciens, concernant la défaillance de la mousse utilisée pour la nacelle Columbia, en minimisant leur importance et le danger.
- Les dirigeants et managers de la Société Générale ont probablement été complaisants et ont décidé de ne pas voir les risques pris par Jérôme Kerviel tant que cela leur rapportait de l’argent (beaucoup). La crise de 2008 a induit une panique, qui a mené à solder les positions de la pire des manières, en réalisant une perte de presque 5 milliards d’euros.
- Reed Hastings, le PDG de Netflix, a décidé seul de scinder son entreprise en deux. Personne dans son entourage n’a osé le contredire, alors que certains avaient perçu le risque. Reed Hastings en a tiré une leçon et a complètement changé sa façon de manager. Il a écrit un livre “La règle, pas de règle”, où il prône la confiance, la franchise et la transparence : “celui qui n’alerte pas s’il pense que la direction prend une mauvaise décision commet un acte de haute trahison envers l’entreprise et il sera viré…”
- La startup qui n’a pas su réagir à temps et a mené une politique de l’autruche en attendant que ça passe a péché par manque de prise de décision.
- Le directeur de DSI qui prend seul des décisions en mettant la pression sur les chefs de projets et équipes exécutantes fait, sans en avoir conscience, confiance en son intuition ou sa chance. Du coup, il a plus de chances de perdre que de gagner ses paris.
Où est Marie Poppins ?
Marie Poppins est cette gouvernante magicienne qui crée sur mesure des médicaments efficaces qui ont de belles couleurs et bon goût. Dans la vraie vie, les remèdes n’ont pas toujours de belles couleurs et leur goût est parfois amer.
Quelques exemples de recettes possibles :
L’intelligence collective :
Le dirigeant pourrait veiller à s’entourer de “contradicteurs”, des personnes qui pensent autrement, qui amènent d’autres idées, qui n’ont pas peur de les exprimer. Mais cela n’est pas facile à faire.
Dans les petites entreprises, les dirigeants sont souvent des amis, des personnes qui ont un chemin ensemble et qui ont cultivé au fil du temps les mêmes habitudes et les mêmes tournures d’esprit. Dans les grandes entreprises, ce sont les CV qui sont triés selon des critères uniformisants, des mots-clés qui sous-tendent les mêmes formations, les mêmes expériences.
Ouvrir son cercle à des personnalités différentes est difficile et peut générer des conflits et donner l’impression que l’on perd du temps.
Dans des temps plus anciens, les rois sages avaient leur fou, dont le rôle était de porter la parole critique ou autre, celle que les suivants ne pouvaient pas se permettre de dire.
Aujourd’hui, on parle d’intelligence collective, mais c’est toujours aussi difficile à appliquer, au moins au début.
Pour aller plus loin sur la composition d’une équipe dirigeante et comment vivre avec : “Maîtriser le changement” de Ishak Adizes
Les modèles mentaux :
Accepter la contradiction sans y voir une attaque personnelle ou une mise en cause de son autorité ou de ses capacités, ce n’est pas simple non plus. Dans un monde concurrentiel où chacun doit s’affirmer pour exister, la plupart d’entre nous avons développé des modèles mentaux basés sur l’esprit de compétition. C’est ce qui fait qu’une contradiction est vite perçue comme une dénégation de nos capacités (à penser, à agir…).
L’attaque amène à la riposte et très vite, on s’arque-boute sur sa position sans pouvoir écouter l’autre, tout en étant persuadé d’avoir raison.
Les modèles mentaux conditionnent la plupart de nos décisions. Ce n’est pas forcément un problème, mais ça pourrait l’être, tout dépend de la qualité du modèle et de sa pertinence par rapport à la situation.
Lorsque nos modèles mentaux nous empêchent de prendre en considération d’autres points de vue, c’est un problème.
Pour aller plus loin sur les modèles mentaux : Stratégie Modèle Mental : Cracker enfin le code des organisations pour les remettre en mouvement de Béatrice Rousset et Philippe Silberzahn. Et aussi : Cerveau menteur ! – Déjouez les pièges de la prise de décision d’Alex Si, ex ingénieur IT converti en magicien mentaliste.
L’art du dialogue :
Et si on apprenait à s’enrichir des apports multiples plutôt qu’essayer de convaincre que l’on a raison ?
Beaucoup de dialogues sont en réalité des monologues croisés, chacun essayant de convaincre l’autre de la justesse de son point de vue. Ainsi, même si on s’est entouré de personnalités différentes et qu’on admet que toute contradiction n’est pas une attaque personnelle, encore faut-il savoir comment faire pour écouter vraiment et aussi se faire entendre.
Il vaut mieux être plusieurs pour s’entraîner à cet exercice, pas si simple lorsqu’on manque de temps et surtout, lorsqu’on n’est pas déjà entraîné !
Parmi d’autres pratiques, dans mes ateliers, j’utilise à cet effet une liberating structure : la “Conversation café”. Sous ses abords très simples, ce format de discussion est un parfait exemple de discussion qui ouvre des possibles et enrichit chaque participant.
Et personnellement, je m’entraîne également au dialogue socratique en groupe dans le cadre d’un meetup “Ateliers de pratique philosophique” animé par Jérôme Lecocq. (Attention, ça pique !).