Le 28 janvier 1986, au centre spatial JF Kennedy survient l’impensable. La navette Challenger explose lors de son lancement, se soldant par le décès de 7 astronautes puis l’arrêt du programme pendant près de 3 ans.
A l’origine, quelques erreurs, mais surtout une prise de décision collective totalement défaillante.
Les joints des boosters (les propulseurs qui fonctionnent pendant 2 min au lancement avant le détachement de la navette sont fabriqués par la société Morton Thiokol. Ils ont toujours présenté des détériorations pendant les vols précédents, à fortiori quand la température extérieure était basse (0°). Les ingénieurs Morton Thiokol affectés au projet des lèvent l’alerte et demandent l’annulation du vol, aucun test ne pouvant garantir l’élasticité des joints à ces températures n’ayant été réalisé au préalable.
Le risque est grand puisqu’ils peuvent conduire à détériorer le réservoir externe de la navette.
La veille du lancement les ingénieurs informent leur direction des risques de procéder au lancement. L’alerte est portée à la connaissance de la Nasa, des réunions s’ensuivent pour déterminer la conduite à tenir. La Nasa entend à la fois les ingénieurs inquiets et entend le management qui recommande le maintien du vol. Jusque minuit vont se tenir visio-conférences sur visio-conférences. Le directeur de projet Morton Thiokol déclare qu’il ne peut pas recommander le lancement.
Les 3 plus hauts dirigeants du fabricant le convoquent et lui demandent de retirer sa casquette d’ingénieur pour prendre celle de manager ( ! ). Ce qu’il ne fait pas.
Les dirigeants signent un document écrit recommandant le lancement, que les ingénieurs refusent de cosigner.
Les équipes du fabricant présentes sur le site s’opposent à cette décision auprès de leur interlocuteurs Nasa, les joints présentaient des défaillances évidentes lors du précédent lancement par temps froid et la température est encore plus basse cette fois-ci.
Pourtant le lancement est maintenu.
Cet accident nous est rapporté par Christian Morel (Les décisions absurdes, tome 1). On retiendra des années d’alertes remontées sur la fragilité des joints et la détermination totale du management de Morton Thiokol à maintenir une décision sur laquelle une partie de ses équipes avait mis un véto.
De l’entêtement dans la prise de décision
Christian Morel explique : une « décision absurde » d’un individu ou d’un groupe définit son “action radicale et persistante contre le but qu’il veut atteindre”, en occultant tout signal contradictoire .
Le point commun de ces décisions absurdes est la persistance contre le but poursuivi. Le problème n’est pas de se tromper mais de persévérer dans l’erreur, avec obstination (consciente ou non).
Bien sûr, toutes les décisions absurdes ne se soldent pas par des conséquences aussi dramatiques.
La vie d’entreprise est aussi pleine de décisions absurdes.
Reed Hastings, le fondateur de Netflix relate l’une de ces décisions absurdes prise en 2007. Voulant simplifier la gestion des abonnements internet et postaux (on pouvait à ses débuts utiliser les deux modes de consommation : réception des DVD par courrier et/ ou streaming), il est convaincu que la création de deux entités distinctes permettra de simplifier la gestion. Une nouvelle entreprise Netflix pour le streaming (forts enjeux technologiques), et une entreprise Qwikster qui servira les clients DVD (forts enjeux logistiques) et représente le passé, pour gagner en focalisation.
Cette décision a généré un tollé chez les abonnés. Au lieu de simplifier, cela a apporté une complexité supplémentaire. Elle a été, selon lui, la pire décision dans l’histoire de l’entreprise.
Les abonnés ont protesté, certains cumulaient les deux modes et se retrouvaient à devoir prendre deux abonnements auprès de 2 sociétés différentes, la perte de clientèle a été très importante (plusieurs millions), l’action a perdu 75% de sa valeur en un trimestre.
Une fois compris l’ampleur de son erreur, le plus difficile à accepter pour le dirigeant a été d’entendre toute son équipe lui dire « on le savait que ton idée était pourrie, mais tu étais tellement convaincu et convaincant, qu’on n’a rien dit ».
Depuis, chaque décision fait l’objet d’une revue par les pairs, avec une petite échelle de -10 à +10 permettant à chacun d’exprimer en quoi est-ce une bonne idée pour l’entreprise, ou pas.
Charge au porteur de la proposition d’en tenir compte au mieux de l’intérêt collectif.
Il s’agit de cultiver un espace de dialogue contradictoire, selon le principe du « capitaine informé ». Une grande autonomie est créée pour libérer l’initiative. A cette seule condition : que chaque décision ait été éclairée et optimisée avec le collectif.
Évident n’est-ce pas ?
Et dans votre entreprise, y a-t-il des décisions absurdes ?
(NB : pour découvrir la culture Netflix, voir notre « partage de veille » sur slideshare.)