Les personnes demandeuses d’accompagnement racontent leur histoire, voire leurs histoires de vie. Des histoires dans lesquelles elles sont auteurs, d’autres dans lesquelles elles sont personnages. Et en 15 ans d’accompagnement j’ai remarqué que, dans au moins 90% des cas, les points de blocage provenaient de la seconde catégorie d’histoires. Ce type d’histoires où ton manager te répète tellement de fois que « tu es nul », que tu finis par t’identifier à ce « je suis nul ». Est-ce pour autant la réalité ? Bien sûr que non.
Dans mon précédent article, je vous parlais de l’accompagnement d’un manager, Nathalie avec laquelle nous avions externaliser le problème “Colère”.
Lors de notre 6ème séance, Nathalie me semble tourmentée. Après lui avoir demandé de quoi elle voulait parler, elle m’explique que la journée précédente, elle a « explosé », que Colère est arrivée sans prévenir et lui a joué des tours.
6ème séance: redevenir auteur de son histoire de vie.
Lors d’une réunion d’équipe avec ses collaborateurs et ses supérieurs hiérarchiques, deux des collaborateurs se disputèrent avec virulence, à la surprise apparente d’Odile. S’en suivi des explications. Nathalie eut la sensation d’une mauvaise foi de la hiérarchie et explosa devant tout le monde. Elle s’adressa à Odile : « Je vous ai dit au moins 4 fois que la situation n’était pas viable mais de toute façon vous n’écoutez jamais ! »
Cette histoire est un excellent point de départ pour commencer des conversations pour redevenir auteur. Les propos qui suivent sont une retranscription de la suite de nos échanges lors de cette 6ème séance:
Loïc: Tu m’as raconté comment Colère s’est invitée à votre réunion de service. Colère t’a-t-elle surprise ?
Nathalie: Je crois bien que oui. Mais je ne comprends pas pourquoi.
L. : Ce qui t’a mis en colère, était-ce la « mauvaise foi » d’Odile ?
N.: Non, et je m’en veux des propos que j’ai tenu sous la colère. En fait, en y réfléchissant, je déteste les situations conflictuelles et je crois bien que c’est pour ça que je me suis mise en colère. J’étais tellement mal à l’aise lors de la dispute, je ne savais pas quoi faire.
L. : Nous travaillons depuis quelques séances sur la gestion de Colère. Pourquoi l’inviter lors de la réunion malgré tout ? Dirais-tu que, à ce moment, tu t’inquiétais davantage du climat social que de ta propre image ?
N. : Je crois qu’on peut dire ça.
L. : Tu crois ? Comment l’exprimerais-tu ?
N. : Non, c’est tout à fait ça. Je m’inquiète du bien-être de mes collaborateurs.
L. : Très bien. Tu t’inquiètes du bien-être de tes collaborateurs. Cela te surprend-il ?
N. : Pas vraiment, c’est quelque chose que j’ai toujours su: j’aime quand les personnes sont heureuses.
L. : Comment l’as-tu su ?
N. : Je ne sais pas. On sait ces choses-là, c’est tout.
L. : Peux-tu me raconter des histoires qui reflèteraient ce qui est important pour toi ? Des histoires qui pourraient me permettre de comprendre pourquoi tu sais que le bien-être est important ?
N. : (Nathalie pris quelques minutes de réflexion). Peut-être une histoire quand j’étais au collège. Je ne sais pas pourquoi je me remémore cette histoire maintenant car je l’avais complètement oubliée. Lors de la récréation, deux de mes copines se sont mises à se disputer par rapport à un devoir que l’on devait faire ensemble. Je ne voulais pas qu’elles se fâchent. J’ai pris un caillou, et j’ai cassé la vitre d’un lampadaire qui était à côté. Lorsqu’elles ont entendu le bruit, elles se sont immédiatement arrêtées et ont cherché à savoir d’où venait le bruit. Personne n’a jamais su ce qui s’était passé ce jour-là.
L. : Tu as détourné l’attention alors que tes copines se disputaient ?
N. : Oui, c’est bien ce que j’ai fait.
L. : Penses-tu que cet acte ou que ta réaction d’hier correspond à l’idée de ne servir à rien ? (Cette idée était ressortie plusieurs fois lors de conversations à propos de Colère).
N. : Non, bien sûr que non.
L. : D’accord. Et à quoi ça pourrait correspondre ? Comment caractériserais-tu cet acte de jeter la pierre ?
N. : Je ne sais pas. Peut-être c’est de la « révolte ». Oui, ça pourrait être ça. Je me révoltais contre une situation qui me mettait mal à l’aise.
L. : Donc « révolte » ça pourrait aller. Qu’est-ce que ça nous dit sur toi ?
N. : En fait, je crois que ça dit que je suis déterminée. Oui c’est ça. Je suis prête à faire n’importe quoi pour maintenir des relations de confiance.
L. : Peux-tu me raconter une histoire encore plus ancienne et qui pourrait confirmer ce qu’on vient de se dire ? Qui pourrait m’aider à comprendre à quel point tu étais une petite-fille déterminée ?
N. : Je ne vois rien. Mais j’ai une histoire récente, de l’année dernière. Ça va ?
L : Bien sûr. Je t’écoute.
N. : Alors, l’année dernière, je me suis disputé avec mon fils aîné. Il ne voulait plus me parler. J’ai été déchirée par cette situation. J’ai tout fait pour m’excuser. Mais cette situation faisait aussi écho à ce qui se passait entre ma sœur et mes parents. Ça faisait 3 ans qu’ils ne se contactaient plus. Je me suis dis que mes parents devaient certainement ressentir eux-aussi un déchirement. J’ai décidé de téléphoner à ma sœur pour lui expliquer ce que je ressentais par rapport à la dispute avec mon fils et quel mal ça me faisait. Je ne sais pas si c’est mon coup de téléphone qui a changé quelque chose, mais trois mois après, ma sœur reprenait contact avec mes parents.
L. : Comment caractériserais-tu cet acte de téléphoner à ta sœur ?
N. : Je sais, c’est un acte d’apaisement. Et je me rends compte que lorsque j’ai jeté la pierre sur le lampadaire, c’était aussi au final un acte d’apaisement.
L. : Des actes d’apaisement. Qu’est-ce que cela nous apprend ?
N. : En fait, depuis tout à l’heure je réfléchis et je me dis que ce que je ne veux pas c’est des relations conflictuelles. Parce que je trouve que les conflits c’est de l’irrespect de l’autre. Le respect c’est très important pour moi. C’est une valeur qui m’est chère et à laquelle on ne doit pas toucher.
L. : Donc tu dirais que tu n’as jamais renoncé au respect.
N. : C’est exactement ça.
L. : Avec tout ce qu’on vient de découvrir sur toi, sur tes valeurs, sur tes intentions, qu’est-ce que tu pourrais faire dans un futur proche pour t’aligner avec tout ça ?
N. : Je vais aller voir Odile pour lui faire mes excuses et lui parler de ce qu’on vient de se dire.
L. : Et si tu fais ça, ce serait un acte de révolte, un acte d’apaisement ou le définirais-tu autrement ?
N. : C’est un acte d’apaisement, c’est sûr.
L. : Et qu’est-ce que ça nous révèle sur tes intentions ?
N. : Ce serait certainement une manière de se connecter au respect. Je dirai ça comme ça.
La figure 2 modélise nos conversations pour redevenir auteur.
Fig.2 : Cartographie des conversations pour redevenir auteur, Nathalie, 6ème séance.
Suite à cette séance, Nathalie discute avec Odile. C’est le début d’une longue série d’initiatives du même type.
Fin de l’accompagnement.
Lors de notre huitième et dernière rencontre, je passe en revue avec Nathalie un certain nombre d’initiatives qu’elle a prises au cours des derniers mois. Elle m’apprend que même si toutes les initiatives ne rencontrent pas un franc succès, elles ont au moins le mérite d’anticiper une arrivée impromptue de « Colère », une sorte de désamorçage anticipé.
Lors de la séance de clôture avec Odile, je suis agréablement surpris des retours positifs de cette dernière. Nathalie n’a plus l’image de quelqu’un de colérique, incapable de gérer ses émotions, même s’il arrive encore que « Colère » essaie de jouer de drôle de tours. Elle est considérée comme une personne vraie et sincère, à l’écoute de son équipe et étant prête à tout pour « se connecter et connecter les autres au respect ». Cette prise de conscience est une avancée finale importante. Elle reconnecte Nathalie avec les cartes de forces qu’elle avait choisies lors de notre deuxième rencontre, à savoir la maîtrise de soi et l’intelligence sociale. Elle a la confirmation qu’elle prend le bon chemin. Nous sommes alors tous capables de célébrer ces conclusions.